Lors de sa conférence annuelle en septembre dernier, la centrale syndicale TUC (Trade Union Congress) présentait une motion invitant les patrons britanniques à décourager le port des talons hauts sur le lieu du travail. Le TUC avait alors pour objectif de lutter contre un problème de santé publique tout en limitant les risques de sexisme dans l’entreprise. Pour beaucoup d’Anglaises, cette mesure paternaliste et liberticide n’aura été qu’une occasion de plus de rabaisser les femmes. Car au delà des considérations esthétiques et fétichistes, les talons hauts sont devenus un excellent moyen de se mesurer aux hommes tout en revendiquant son droit à la féminité. On les porte désormais par défi et non plus par défaut.
En Corée plus qu’ailleurs, le stiletto est devenu l’accessoire incontournable de la femme active et moderne. Dans le cadre du programme « Happy Women, Happy Seoul » lancé en 2007, la ville de Séoul a donc décidé d’aménager ses trottoirs et ses parkings afin de faciliter le parcours des combattantes sur échasses. Dans la même veine, cette initiative comprend également le renforcement de l’éclairage urbain et la construction de toilettes publiques supplémentaires. Faut-il en déduire que pour la femme Coréenne, le bonheur est dans la rue ?
Mais qu’ai-je donc fait pour mériter cela ?
J’aurais tellement aimé pouvoir vivre à l’époque de Confucius, ne serait-ce que pour lui filer une grande baffe ou lui écrabouiller le pied à coups de talons aiguilles. Cela aurait sûrement renforcé son mépris à l’égard des femmes mais au moins, cela l’aurait peut-être fait réfléchir sur leur éventuelle infériorité par rapport aux hommes. Cela dit, n’accablons pas trop le pauvre homme car à l’origine, son intention était probablement de préserver l’ordre et l’harmonie des relations sociales. Et au 6ème siècle avant J.C., il pouvait peut-être sembler normal et nécessaire que la femme reste à sa place, c’est-à-dire à la maison. En Corée, l’influence du Confucianisme a été relativement tardive et ce n’est qu’au 14ème siècle qu’il devient la doctrine d’état de la dynastie Yi et ce, jusqu’au début du 20ème siècle. Très rapidement, le néo-confucianisme devient le principe moral de référence pour l'administration et la vie quotidienne de la société coréenne. Le pays est alors contrôlé par une classe dirigeante de lettrés, les Yangban, dont le rôle principal est d’inculquer un certain idéal confucianiste au peuple coréen. Dans ce contexte, la femme doit s’effacer. Elle est une ansaram (« personne de l’intérieur ») et doit se soumettre à la tutelle des trois hommes de sa vie : son père, son mari et son fils aîné. Elle n’a pas le droit de s’instruire ni d’exprimer sa personnalité.
Aujourd’hui, il est difficile de parler de la femme coréenne sans se heurter aux paradoxes. Est-elle passive ou active, faussement soumise ou totalement indépendante, victime ou dominatrice? Selon les stéréotypes, les générations et les différents milieux, les réponses se suivent et ne ressemblent pas. Comme l’omijja, cette baie aux cinq saveurs et aux mille vertus, la femme coréenne est à la fois un mystère et une évidence. Elle est …
Salée : Je suis née au 21ème siècle. Mes parents n’arrêtent pas de me dire que j’ai de la chance de vivre à cette époque où tout est possible. Il paraît que de leur temps, c’était la guerre et la misère. Enfin c’est surtout mes grands-parents qui me disent ça. Je veux bien les croire parce qu’ils n’avaient ni télé, ni ordinateur, ni téléphone portable. Et puis surtout, ils n’avaient rien à manger. De leur temps, la Corée du Sud c’était un peu comme la Corée du Nord. Je suis une enfant unique et je crois bien que mes parents sont un peu déçus parce qu’ils auraient préféré que je sois un garçon. Je leur ai dit que ce n’est pas grave, qu’ils n’ont qu’à faire un autre enfant mais apparemment, un c’est déjà trop. Je ne les vois pas beaucoup parce qu’ils travaillent tous les deux et rentrent très tard le soir. Ma mère, elle pleure à cause de son boss qui n’arrête pas de la traiter comme une serpillière. Papa, il est souvent bizarre quand il rentre. Il sent le soju et le barbecue et il ne marche pas droit. En plus, il n’arrête pas de crier contre ma mère. Mais il paraît que c’est parce qu’il est trop fatigué et stressé. Moi aussi, j’en ai marre de travailler comme une folle. L’école, les cours particuliers, les cours de danse, de musique, d’anglais. Il faut toujours que je sois la meilleure. Quand je serai grande, je veux être chanteuse ou actrice et gagner plein d’argent. Je veux être une Wonder Girl.
Acide : Je suis une ado et je suis malheureuse. On appelle ça l’âge ingrat. Je me trouve grosse et moche et je suis obligée de porter un appareil dentaire et des lunettes. Je déteste mes parents et surtout, je méprise ma mère et sa vie de ratée. Elle passe son temps à se plaindre de mon père. N’empêche, elle est bien contente d’avoir arrêté de travailler pour pouvoir dépenser l’argent de son mari à Shinsigae ou au Galleria. Et puis en plus, c’est elle qui décide tout à la maison alors qu’elle arrête de faire sa victime. Elle est toujours fourrée avec les mères de mes copines et ça aussi, ça m’énerve. Je suis sûre que mon père a une maîtresse et ma mère, elle fait semblant de ne rien voir. L’autre jour, elle a décidé de se faire une nouvelle injection de Botox et franchement, ça ne lui va pas du tout. C’était quand même beaucoup mieux après son deuxième lifting. En attendant, ça fait un bail ans que je lui demande une opération des paupières et tout ce qu’elle trouve à me dire, c’est que je dois attendre. J’ai vraiment envie de me suicider. Tiens, qui c’est qui m’envoie un SMS ? Kkkk, morte de rire ^^ Bon, c’est pas tout mais faut bosser un peu. Mais avant, un peu de chat sur Naver.
Sucrée : Je suis une jeune princesse de Séoul et je suis libre comme l’air. Enfin, pas totalement puisque j’habite encore chez mes parents. J’ai trois doctorats et deux masters et j’envisage de passer le TOEFL cette année. J’ai étudié deux ans en Californie mais mon English n’est pas vraiment top. Je suis secrétaire dans un chaebol et je bosse comme une esclave. Même plus le temps de lire mes SMS ou de mettre à jour mon blog. Je suis toujours célibataire et mes parents commencent à angoisser très sérieusement. Ma mère n’arrête pas de m’organiser des blind dates mais franchement, tous les types que je rencontre sont vraiment trop conservateurs, des vrais fils à maman. Honnêtement, je n’ai absolument pas envie de me marier mais d’un autre côté je n’ai pas l’intention de passer ma vie à trimer. Ma vie est un drama mais un jour mon prince viendra car je sais que je suis irrésistible. Mais il faudra bien qu’il comprenne qui commande à la maison.
Amère: mon nouveau statut est celui d’épouse et de mère. Ma vie se définit à présent par rapport à celle de ma famille et plus exactement celle de mon mari. Ce n’est pas vraiment lui qui me pourrit l’existence mais plutôt sa mère, ma shi-eomeoni. Celle-là, elle me fait le même effet qu’un chewing-gum sous une chaussure. Toujours à me coller aux basques et à se mêler de ce qui ne la regarde pas. Evidemment, elle fait tout mieux que moi. Bref, elle est indésirable. La seule femme capable de l’affronter, c’est ma mère. Elle au moins, elle comprend à quel point la vie de bru est pesante. Depuis que j’ai eu la chance d’avoir un fils du premier coup, j’ai arrêté de travailler. Maintenant, mes journées sont bien remplies : shopping, spa, manucure, déjeuners avec les copines, emmener le fiston à l’école et aux cours du soir, etc. C’est moi qui dirige le foyer et mon mari est assez intelligent pour me laisser gérer notre argent. Pas besoin de lui rendre des comptes sur mes activités du moment que je m’occupe bien de son fils et que je sais me tenir en public. Je le respecte mais je ne sais plus vraiment si je l’aime.
Piquante : je suis une adjuma et j’aime çaaaaa ! Je n’ai pas vraiment de genre ni de forme, je suis le troisième sexe. Plus vraiment Yin et pas totalement Yang, j’ai les cheveux courts et permanentés, surmontés d’une casquette à visière fluo. J’ai une prédilection pour les habits confortables, les matières crissantes et les couleurs criardes, avec tout un tas de motifs floraux ou géométriques. J’ai troqué les talons hauts contre de bonnes chaussures de randonnée et je passe mes journées à crapahuter, à la recherche d’une bonne âme à sauver. En cas de détresse à bord, pas de panique, l’adjuma est là, plus efficace qu’un GPS et plus sympa qu’un agent de police. Je fais ce que je veux et quand je le veux. Si j’ai envie de rire, je m’esclaffe sans mettre la main devant la bouche. Malheur à celui qui me pique mon taxi car dans ce cas, je peux être un peu violente. Depuis que Séoul a décidé que l’on devait marcher à droite, j’ai un peu de mal avec les escalators. En revanche, je rencontre beaucoup moins d’obstacles sur mon passage. C’est dommage, moi qui aime tant les contacts humains.
Bien entendu, il y a peut-être une part de vérité dans tout ce qui précède mais je ne connais pas assez l’intimité des femmes coréennes pour pouvoir en dresser un portrait fidèle. Celles que je connais sont extraordinaires de courage et de sensibilité mais également de pudeur. Je ne les connaîtrai donc jamais totalement et c’est tout ce qui fait leur charme.
Le saviez-vous ?
Trois femmes ont régné durant la dynastie Shilla : Sondok, Chindok et Jinsong. La mère de Sondok n’a pu avoir de fils et a donc été envoyée au couvent par son mari le roi Chinpyong. Sa deuxième femme a également échoué (tiens, tiens …) et c’est donc la fille aînée du roi qui lui a succédé à sa mort. Née en 610, Sondok a régné durant 14 ans et s’est distingué par son érudition et son goût pour les sciences et notamment l’astronomie.
Depuis juin 2009, le nouveau billet de 50.000 won est en circulation en Corée. Sur ce billet se trouve le visage de Sin Saimdang. Souvent considérée comme un modèle de l’idéal confucéen, cette artiste et peintre calligraphe coréenne de la dynastie Joseon (1504-1551) a donné naissance au plus grand néo-confucéen qu’ait connu la Corée, Yi Yul-gok. Ce dernier se trouve d’ailleurs sur le billet de 5.000 Won.
CGH, Octobre 2009
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