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Sunday, June 1, 2008

Que la force soit avec vous

Il est toujours très vexant de s’entendre dire que l’on n’a pas l’air en forme (en forme de quoi d’ailleurs ?) : cette remarque sous-entend souvent de la pitié – «tu ne te ménages pas assez, tu es si fragile, fais attention» -, parfois du mépris – «vous n’êtes vraiment pas au top, Dubouchon » - mais très rarement de l’envie – «alors, les nuits sont courtes ?». Nos sociétés modernes prônent la vitalité, le tonus et la performance mais en dépit de tout le confort matériel qu’elles nous offrent, nous sommes de plus en plus en plus épuisés physiquement et moralement. Bref, on vit de plus en plus longtemps mais on vit de plus en plus mal. Course contre la, montre, insécurité, violence, incertitude, compétition, surinformation, changements perpétuels, solitude, stress : tous ces facteurs impliquent non seulement des styles de vie exténuants mais également des émotions négatives. D’où une plus grande vulnérabilité face aux agressions de notre environnement.

La Corée n’est bien sûr pas épargnée par ces fléaux, ce qui explique en partie son intérêt pour tout ce qui touche au well-being (bien-être). De fait, la culture coréenne a depuis très longtemps intégré les notions d’équilibre et de santé, notamment par une gestion optimale de l’énergie vitale. Véritable philosophie de vie, cette approche énergétique continue à rythmer les activités quotidiennes des Coréens. Elle constitue l’un des principes fondateurs de la médecine traditionnelle coréenne, qui ne cesse de se développer en dépit (ou à cause) des avancées technologiques. Dans le monde entier, cette médecine séduit un nombre croissant d’adeptes qui se piquent d’acupuncture tandis qu’ils découvrent les vertus du kimchi. Aurait-on trouvé la solution à nos crises énergétiques ?

Le Qi c'est quoi ? 

De la Guerre du Feu à la Guerre des Etoiles, l’énergie a toujours représenté un enjeu capital, pour lequel on est prêt à se battre. Aussi vitale que destructrice, cette énergie confère pouvoir et autorité à celui qui la détient. Très tôt la race humaine a divinisé les différentes formes et sources d’énergie avant de réaliser et ce, bien avant Einstein, que l’énergie se trouvait partout .

Les Chinois ont ainsi introduit le concept de Qi (sinogramme 氣 / 气 (炁), prononcer « tchi ») ou Gi en Coréen et Ki en Japonais pour formaliser cette force vitale universelle reliant les êtres entre eux. CE Qi s’apparente au Prana, dans la spiritualité indienne. Le terme Qi peut-être traduit par «vapeur», «exhalaison», «fluide», «influx», «énergie », la signification la mieux adaptée étant «souffle». Le sinogramme représente dans sa partie inférieure droite un grain de céréale qui éclate sous l'effet de la cuisson, ou de la digestion. Ce faisant, il produit la partie gauche et supérieure du sinogramme qui représente le dégagement d'une vapeur qui s'élève.

Au niveau de chaque organisme vivant -et même des minéraux-, le Qi est un flux énergétique traversant l’ensemble du corps en suivant le tracé de méridiens (ou lignes énergétiques) qui se recoupent tous dans le «centre des énergies».

Le Qi représente la base de l’approche de la Médecine Traditionnelle Chinoise (MTC) et ses dérivés coréens et japonais. Selon les principes de la MTC, la maladie s’installerait suite à des blocages ou déséquilibres énergétiques altérant le flux du Qi. Ces dérèglements correspondent souvent à un comportement inadapté dans lesquels les processus psychologiques jouent un rôle important. C’est pourquoi la MTC se concentre avant tout sur le patient dans son ensemble (approche holistique) plutôt que sur la maladie dont il est porteur. Tout facteur extérieur est alors considéré comme un facteur déclenchant et non comme la cause principale de la maladie, laquelle survient suite à un déséquilibre interne affaiblissant un ou plusieurs organes. En ce sens, la MTC s’écarte de la médecine occidentale qui s’attache à diagnostiquer la maladie avant tout, à partir de symptômes standards.

D’après la MTC, les émotions et comportements négatifs contribuent à provoquer des blocages énergétiques, comme si le corps reproduisait des mécanismes d’adaptation primaires face à des situations de crise. Par exemple : j’ai peur donc j’oblige mon corps à concentrer son énergie sur certains points, comme au temps où je devais fuir le vilain tyrannosaure. Toutes les altérations de l’équilibre énergétique peuvent en partie expliquer certains comportements de compensation pouvant se transformer rapidement en comportements d’addiction. Il s’agit de la consommation abusive de nourriture ou de médicaments, sans oublier les drogues dures, le tabac, l’alcool, le shopping ou encore les jeux de hasard. Tous ces substituts sont ainsi censés apporter de l’énergie ou du moins compenser l’absence d’énergie. On comprend aussi pourquoi nos sociétés sont fascinées par les stars ou autres shows pailletés ainsi que les personnalités charismatiques, qui fascinent les midinettes et les peuples en crise.

Pour retrouver leur équilibre énergétique, d’autres préféreront opter vers la spiritualité ou la médecine traditionnelle, qui peu également soigner les bobos de l’âme.

Tout l’art de la MTC consiste à rétablir l’harmonie au sein des flux d’énergie, en s’appuyant sur trois grandes disciplines : la phytothérapie, les thérapies manuelles et l’acupuncture. A ces trois techniques fondamentales s’ajoutent la diététique tant au niveau curatif que préventif et bien sûr les gymnastiques énergétiques basées sur la circulation harmonieuse du Qi (ou chi) : Tai-chi, Qi gong, Rei-Ki, etc. Selon certaines définitions, on peut aussi inclure les croyances, les savoirs non codifiés, les pratiques chamaniques …

La phytothérapie est indiquée dans plus de 80 % des maladies et elle utilise aujourd’hui plus de quatre cents espèces végétales. Le traitement consiste à administrer des formules composées de racines, d’écorces ou de feuilles sous forme de décoction ou de pilules. Contrairement à la médecine occidentale, le choix des plantes et la posologie sont définis en fonction de "l’état énergétique" du patient et non pas du type de pathologie détecté.

L’histoire du massage thérapeutique est très ancienne et part du principe que toute altération de la mobilité articulaire, consomme une certaine quantité d’énergie et freine son passage, entraînant ainsi des maladies. Par des manipulations, le masseur va chercher à régler ce problème. Des perturbations internes (troubles de la digestion, stress) peuvent se manifester par des tensions et des blocages corporels.

Enfin, l’acupuncture est une véritable chirurgie de l’énergie, ayant pour objet de rétablir l’équilibre et partant du principe que les méridiens - au nombre de douze – représentent chacun un organe. En agissant sur certains points, on peut donc agir directement sur les organes visés (estomac, rate, intestin, etc.), des aiguilles plantées sur des points précis pouvant stimuler ou inhiber leur fonctionnement selon les besoins.

Pendant plus de deux millénaires, la MTC s'est donc concentrée sur la santé plus que la maladie. Rappelons que le médecin chinois était rémunéré tant que ses patients étaient en pleine forme et ne l'était plus lorsqu'ils étaient malades. Il pouvait même être battu si son patient en avait le pouvoir et la force. On comprend pourquoi leurs conseils visaient plutôt la prévention que le traitement des maladies.
Spécialités Coréennes
La médecine traditionnelle coréenne a pendant très longtemps développé ses propres techniques, notamment durant l’époque des Trois Royaumes - Baekje, Silla et Gogureyo (du Ier siècle avant J.C à 668 après J.C), avant d’intégrer les principes des médecines traditionnelles chinoise. Auparavant, les relations de la Corée avec ses voisins proches ne permettaient guère l’échange des connaissances médicales. La médecine connaît un essor particulier en Corée durant la période de Joseon et dès le 16ème siècle, la médecine traditionnelle de l’époque est alors une combinaison de médecine traditionnelle chinoise et de phytothérapie typiquement coréenne. Elle demeure l’essentiel de la médecine traditionnelle telle qu’on la pratique aujourd’hui en Chine et en Corée, mais également au Japon. Cela n’empêche pas la médecine traditionnelle coréenne de continuer à développer ses spécificités.

Au début du 19ème siècle, le médecin Lee Jae-Ma met ainsi au point la typologie Sasang, qui représente l’un des fondements de la médecine traditionnelle coréenne. Selon cette typologie, les êtres humains sont classés selon quatre types principaux - Tae-Yang, So-Yang, Tae-Eum and So-Eum – auxquels sont associées des émotions dominantes - douleur, colère, tristesse et plaisir. Ces émotions correspondent à certains organes soit plus résistants soit plus vulnérables. Des traitements particuliers sont donc indiqués en fonction de chaque profil type, auquel on associe également une morphologie spécifique. Cette typologie correspond à une médecine traditionnelle typiquement coréenne basée sur la psychologie, voire la morphopsychologie.

Au début du 20ème siècle, la colonisation de la Corée par le Japon apporte la médecine occidentale et provoque un déclin relatif des pratiques de médecine traditionnelle. Cette dernière s’imposera de nouveau durant la seconde guerre mondiale, une fois que la Corée aura retrouvé son indépendance.

A partir de 1971, le Pr Tae Woo Yoo invente la manupuncture coréenne (MC), dont le nom originel est Koryo Sooji Chim ou Soojichim. Il s’agit d’une acupuncture coréenne de la main qui a été développée plus ou moins par hasard alors qu’il effectuait des recherches sur les liaisons nerveuses entre organes. Une nuit, il fut pris d’un mal de tête assez fort pour l’obliger à se réveiller et parce qu’il était encore un peu endormi, il décida de localiser ce mal sur sa main, considérant que chaque point de la main pouvait être associé à un point énergétique du corps. Ayant effectivement identifié un endroit douloureux sur sa main, il décida de soulager sa migraine en plantant une aiguille là où ça fait mal. Cette expérience s’avéra efficace et l’encouragea à poursuivre dans ses investigations, jusqu’à dresser une véritable carte des méridiens et des points d’acupuncture de la main, ayant chacun une correspondance avec un organe précis du corps.

Comme l’acupuncture chinoise, la MC décrit donc des méridiens et des points présentant la particularité d’être tous localisés sur la main. La paume de la main correspondrait ainsi à la partie antérieure du corps et le dos de la main, à la partie postérieure du corps. L’index et l’annulaire représentent les membres supérieurs, alors que le pouce et l’auriculaire correspondent aux membres inférieurs. Les trois phalanges du majeur représentent respectivement la tête, le cou et le thorax. Tous les viscères et les os (notamment les vertèbres) ont leur représentation sur la main. Chaque main figurant le corps entier, toute partie du corps possède sa représentation sur la main droite et sur la main gauche. D’où l’expression avoir le cœur sur la main ?

Divers moyens thérapeutiques peuvent être utilisés : aiguilles, pression, aimants, A-bong et T-bong -patchs métalliques dorés ou argentés de 2mm de diamètre-, moxas -petits cônes d’armoise qui permettent de chauffer certains points-, stimulation électronique. La MC semble très efficace pour soulager un large éventail de maux dont les maladies rhumatismales, les allergies, certaines formes de stérilité ou d’atteintes neurologiques. Elle peut également jouer un rôle utile en complément de la médecine occidentale en allégeant les douleurs, en diminuant les effets secondaires de certains médicaments et en favorisant le rétablissement. Son avantage est de permettre un auto-diagnostic et un soulagement rapide, tout en prenant en compte l’environnement naturel et social du patient.

Plus récemment, la thérapie Su-Jok a été lancée par le professeur coréen Park, Jae Woo. Il s’agit d’un nouveau système d’acupuncture encore plus rusé que la manupuncture puisqu’il inclut également les pieds. D’ailleurs Su-Jok signifie littéralement «mains et pieds» en coréen. Comme pour la MC, les mains et les pieds représentent des sortes d’hologrammes du corps, reflétant l’ensemble de ses organes et structures. Avec le Su Jok il existe plusieurs systèmes de correspondance. Dans le système de correspondance standard, le pouce représente la tête, la paume de la main est l’abdomen, le dos de la main est le dos et les quatre autres doigts sont les bras et les jambes. Dans le système de correspondance plus avancé, on retrouve tout le corps dans chaque doigt.

J'ai testé pour vous 
Très inspirée par toutes mes recherches dans le cadre de cet article, j’ai récemment décidé de me proposer comme cobaye, encouragée par les conseils d’une amie enthousiaste. Nous nous retrouvons donc un matin dans un cabinet spécialisé en médecine traditionnelle coréenne, où elle se rend régulièrement. D’après l’aspect … traditionnel du lieu, j’imagine parfaitement le médecin qui va me prendre en main : un petit vieux à la peau ridée, avec une longue barbe blanche et un sourire énigmatique. Le médecin qui nous rejoint est un sympathique jeune homme, totalement imberbe et assez impassible. Sa seule touche traditionnelle : son pyjama bleu marine à col Mao.

Le thérapeute n’est pas loquace mais de toute façon, nous ne parlons pas la même langue. Une amie coréenne nous rejoint pour faire office de traductrice. Sa mission est de lui expliquer les raisons de ma présence. Je ne vais pas lui dire que c’est la curiosité qui m’a poussée donc j’effectue rapidement un diagnostic mental en espérant que mes petits bobos seront pris au sérieux. Je lui annonce donc d’un air sombre et intimidé (oui c’est possible) que : j’ai mal aux épaules, je suis en général assez stressée, j’ai souvent la respiration bloquée, des difficultés pour m’endormir mais aussi pour me réveiller, les reins en compote, des maux normaux quoi. J’espère que cela suffira. Apparemment non, puisqu’il me demande si mon intestin se porte bien et si mon estomac, ça va. Faisons-lui plaisir : effectivement mon système digestif déraille souvent. Mais pas de rate qui se dilate. Satisfait, « mon » médecin me tâte le pouls durant 3 secondes et déclare solennellement que je dois être très fatiguée. Oui, c’est vrai. Puis il congédie mon interprète pour commencer sa séance de torture. Il me pose alors au niveau des épaules 4 ventouses (c’est possible), reliées chacune à une machine plein de voyants lumineux et d’indications ésotériques.

Avec mes restes de Sciences Physiques, je reconnais sur la machine l’unité de mesure de l’intensité du courant électrique. Et cela commence à me faire peur. On se croirait dans Matrix. Ensuite, le médecin me pose quelques ventouses par ci par là -principalement sur le ventre-, toujours à l’aide de cet appareil qui doit aussi servir d’aspirateur. Je me demande si je ne devrais pas prendre quelques kilos à l’avenir car j’ai l’impression que mes entrailles font finir par sortir. Puis il me demande de m’allonger sur le dos pour procéder à la dépose d’aiguilles sur la tête et sur tout le côté droit de mon corps. Je témoigne, ce n’est pas douloureux. Sur mon échelle personnelle de la douleur (0 = même pas mal à 10 = je vais lui envoyer mon poing dans la tête s’il continue), j’oscille entre 1 (= plaît-il ?) et 4 (= si j’étais masochiste, je trouverais cela presque agréable), mais il faut avouer que je m’écoute un peu trop. Enfin ce n’est pas pire qu’une piqûre de moustique. L’inconvénient, c’est qu’on ne peut pas se débarrasser de l’acupuncteur avec un coup de bombe insecticide ou en l’écrasant sur le mur. De toute façon, j’ai décidé que la force serait avec moi donc j’attends sagement la suite des opérations. Démarrage de l’appareil électrique : telle une grenouille de laboratoire livrée à la cruauté de jeunes laborantins, je me mets a tressauter au fil du courant qui me traverse. La séance dure 20 mn et cela me semble presque trop court. En même temps, quel soulagement quand il enlève les aiguilles et surtout ses ventouses électriques.

La consultation puis la séance de torture m’auront coûté 12,000 KRW (moins de 10 Euros à l'époque). Je ne me sens encore un peu secouée et pas forcément mieux mais il paraît que les effets ne sont pas immédiats. Mais j’ai rapidement constaté que mes épaules en béton étaient déjà beaucoup plus souples et moins douloureuses. J’ai également eu droit à un traitement personnalisé à base d’herbes, à prendre 2 fois par jours durant 20 jours, sous la forme de potion végétale brunâtre dont l’odeur est aussi écoeurante que le goût. Je ne mentionnerai pas le coût de ce traitement, par égard pour l’équilibre énergétique de mon mari. Cela dit, l’investissement en vaut la peine. J’ai depuis quelques jours une pêche d’enfer, à un tel point que je ne peux plus dormir du tout. Ma deuxième séance a été moins traumatisante – mes épaules sont plus blasées – et beaucoup plus efficace. Effectivement, je me sens beaucoup mieux et ravie d’affronter ma troisième séance, demain. Un beau jour, mon médecin taciturne m’annoncera que je n’ai plus besoin de lui et que ce n’est plus possible entre nous. Cela signifiera que j’aurai enfin retrouvé mon équilibre. Peut-être que d’ici là, il aura effectivement une longue barbe blanche et moi la peau ridée.

CGH, Juin 2008

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