La vie de femme d’expat’ n’est pas de tout repos. La preuve : je finis (et commence) cet article dans l’urgence pour cause d’emploi du temps surchargé. Je n’ai ni travail ni enfants et pourtant je n’arrive pas à trouver une minute pour moi ces derniers temps. Mais ceci explique sûrement cela … A trop vouloir éviter l’ennui et le désoeuvrement, on finit par frôler l’hyperactivité. Et toutes ces activités traditionnellement considérées comme des passe-temps – bénévolat, organisation de soirées, … finissent par devenir du travail à plein temps quand elles s’accumulent.
Quelle que soit leur situation familiale ou leur âge, la plupart des femmes d’expat’ que je connais se plaignent également du manque de temps. Et les excès de grasse matinée ne sont généralement pas en cause, même s’il faut bien un peu en profiter. En fait, Séoul est une ville soûlante, dont on finit forcément par adopter le rythme effréné. Cette cadence infernale m’a d’ailleurs valu un nombre de chutes incalculables notamment en automne (car la feuille de gingko glisse) mais également en hiver à cause des pentes verglacées, dans les couloirs du métro, etc … Mais là, je m’étale un peu trop.
Pour beaucoup (d’hommes ?), la vie de femme d’expat se résume cependant à une seule activité : profiter. Dispensée de travailler et/ou contrainte au repos forcé, elle peut se permettre de se hâter avec lenteur sans se fouler. Sa mission principale au sein du foyer est une partie de plaisir : dépenser l’argent du ménage, développer la vie sociale du foyer et consacrer tout son temps à ses hobbies. Or la réalité est loin d’être aussi évidente que ça et l’analyse demande un peu plus de subtilité (messieurs ?). La femme d’expat’ a désormais son mot (et ses maux) à dire. Premièrement, beaucoup d’entre elles ont mis leur carrière professionnelle entre parenthèses, ou au panier dans le pire des cas. Deuxièmement, Séoul a beau être une ville qui s’ouvre peu à peu au monde occidental, le choc culturel demeure et il est davantage perçu lorsqu’on se trouve en dehors du contexte de l’entreprise et/ou de la communauté expatriée de son pays d’origine. Enfin, il n’est jamais évident de se reconstruire une vie sociale et amicale à partir de zéro.
Les spécialistes de la gestion des carrières à l’international constatent que la plupart des retours anticipés sont motivés par l’incapacité du conjoint à s’intégrer dans le pays d’accueil. En demeurant isolé de son nouvel environnement, ce dernier aura donc plus de difficulté à s’adapter, et par conséquent, influencera l’employé expatrié dans sa décision de revenir au pays. Par ailleurs, on remarque également un refus croissant de s’expatrier pour des raisons familiales et notamment le travail du conjoint. Quand on apprend que plus de 70% des expatriés sont mariés ou un conjoint, il conviendrait de s’intéresser davantage au bien-être de ces moitiés comme facteur de succès de l’expatriation. Car l’échec d’une expatriation peut s’avérer coûteux pour une entreprise (en moyenne entre 150.000 US $ et 200.000 US $ d’après des études récentes). Par expérience, les mesures d’aide à l’intégration du conjoint demeurent faibles, voire nulles. Pour éviter ce risque, les compagnies ont donc intérêt à développer des programmes d’assistance pour assurer le succès à l’opération de l’expatriation qui est généralement critique pour la réussite finale du projet. Pour définir ces programmes, il convient de savoir où le bât blesse, à savoir : comment accompagner au mieux l’intégration des expatriés et notamment leurs conjoints.
Vous avez dit bizarre ?
Lors d’un précédent article, j’ai évoqué le cycle d’adaptation de l’expatrié en insistant sur le choc culturel et la nécessité de rester zen face à certaines phases critiques, normales et inévitables. Il se trouve que l’on ne peut pas compter uniquement sur ce modèle d’adaptation, lequel apparaît trop simpliste pour refléter les évolutions continuelles de l’économie mondiale. En effet, nous remarquons tous les jours que les cultures s’uniformisent et deviennent de plus en plus accessibles. En particulier pour la Corée, les nouvelles technologies de l’information et de la communication accélèrent ce processus. Les Coréens ont toujours l’air un peu rudes mais n’oublions pas que le pays ne s’est ouvert que depuis peu de temps De plus, les jeunes étudient de plus en plus à l’étranger, en revenant avec des styles de vie relativement familiers (pour nous occidentaux, je l'avoue). En principe, le choc culturel devrait donc être moindre et l’adaptation plus facile. Or ce n’est pas le cas, une expatriation réussie ne tient pas uniquement à de bons amortisseurs. C’est à la personnalité et au comportement même des individus, beaucoup moins figés qu’on ne le croit, qu’il faudrait s’intéresser. Des approches plus complexes sont donc nécessaires pour traiter l’expatriation et le processus d’intégration de l’expatrié. L’un d’elles est la théorie du « sensemaking », ou création de sens.
Le modèle de Sensemaking a été développé en 1995 par Karl Weick et a été initialement appliqué au management et l’organisation des entreprises. Selon Weick, la création de sens est un processus qui intervient souvent après que les membres d’une organisation aient rencontré une sorte de discontinuité dans une organisation, d’où un effet de surprise. Pour être capables de surmonter cette surprise, les membres de l’organisation doivent trouver un sens à l’événement, ce qui leur permettra d’agir en conséquence. Ils commencent alors à rechercher l’information au sein de leur environnement afin d’en extraire les réponses qui donneront du sens à l’événement. Il s’agit d’un processus continu qui peut conduire à une réduction de l’effet de surprise, à partir du moment où les réponses sont progressivement assimilées.
Dix ans plus tard, une thèse a étudié le modèle de Sensemaking afin de proposer une approche pratique de la gestion de l’expatriation et notamment du processus d’acculturation du pays d’accueil (Sensemaking in expatriation - A theoretical basis, par Glanz L, Williams R, Hoeksema L). Pour résumer TRES succinctement cette étude, l’expatrié se trouve face à de nombreuses situations et de nouvelles expériences qui ne correspondent pas à ses attentes ou à son expérience, d’où un phénomène de surprise. Plus il sera capable de donner du sens à ces surprises plus il sera à même de modifier son comportement et de faire face au changement et au mal du pays. Si je continue à résumer encore plus drastiquement, le modèle de sensemaking appliqué à l’expatriation vise à proposer des programmes de préparation à l’expatriation. Une fois identifiées quelques caractéristiques personnelles indispensables – ouverture d’esprit, curiosité, etc., le futur expatrié recevra un ensemble de stimuli destinés à renforcer son sens de la cohérence, identifiés les bonnes réponses et agir au lieu de rester planté, pétrifié par la surprise. Complètement blasé, plus rien ou presque ne l’étonnera et il sera donc plus à même de travailler sans passer son temps à s’extasier en regardant par la fenêtre. Ce programme peut être renforcé par l’intervention d’un courtier socio-culturel (socio-cultural broker) chargé de lui fournir tous les tuyaux utiles pour faciliter son intégration. D’après ce que j’ai compris, la conclusion de cette étude est que plus on s’attend au pire, plus on a de chances d’être agréablement surpris, ou de ne pas l’être du tout. Quand je pense qu’il m’aura fallu ingurgiter 200 pages d’anglais scientifique pour arriver à cette conclusion …
L’expatriation, on connaît la chanson
Pour les courageux qui ont eu le courage de lire cet article jusqu’au bout, je terminerai sur une note musicale en associant quelques paroles de chansons à des situations d’expatriation (désolée pour mes références musicales !) :
- Les sorties = Elle : Emmène-moi danser ce soir (M. Torr), Lui : Faut qu’j’travaille (Princess Erika) ou (miracle) : on ira où tu voudras quand tu voudras (J. Dassin).
- C’était comment ta journée ? Elle : J’ai tout mangé le chocolat, j’ai tout fumé les Craven A, je fais rien que des bêtises quand t’es pas là (S. Paturel) Lui : j’avoue j’en ai bavé pas vous mon amour (S. Gainsbourg)
- Matins difficiles = Elle : Si je pouvais me réveiller, à ses côtés (Il était une fois). Lui : Je me lève, et je te bouscule, tu ne te réveilles pas … comme d’habitude (C. François).
- Les amis restés en France = Les deux : Est-ce que tu viens pour les vacances, moi je n’ai pas changé d’adresse (David et Jonathan).
- Nourriture locale = Elle : qu’on me donne l’envie, l’envie d’avoir envie (Johnny H.), Lui : Je suis malade, complètement malade (S. Lama)
- Coup de blues : Elle : je suis venue te dire que je m’en vais … (S. Gainsbourg). Lui : t’en vas pas, si tu m’aimes t’en vas pas (Elsa)
- S’intégrer : Elle : Ma liberté, contre la tienne (P. Kaas), Lui : celui qui n’a jamais été seul au moins une fois dans sa vie (Garou).
- La communauté française : Elle : Tous les garçons et les filles de mon âge se promènent dans les rues deux par deux (F. Hardy), Lui : allez viens boire un p’tit coup à la maison (Licence IV).
A suivre …
N’ayant pas assez de recul pour décortiquer la vie de toutes les femmes d’expats à Séoul, je terminerai donc cet article laborieux en incitant mes compagnes d’infortunes à me livrer leurs impressions pour une future édition du Petit Echotier. Et j’en profite pour faire appel à nos semblable nos frères, les maris de femmes expatriées.
CGH, Décembre 2006
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